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5 HISTOIRE
Myra (Turquie) Myra est un site archéologique de Turquie, à proximité de Finike, dans l'ancienne Lycie (IIe siècle av. J.-C.). Les tombes sont creusées dans la paroi des falaises.
L’Anatolie est peuplée dès les temps préhistoriques. Vers le début du IIe millénaire av. J.C., les peuples indo-européens y affluent. L’un d’entre eux, les Hittites, établit un empire qui perdure jusqu’aux environs de 1200 av. J.-C. Il est détruit par des envahisseurs appartenant aux peuples de la Mer (Indo-Européens), les Phrygiens. Ces derniers mettent en place un puissant royaume. Au cours de la même migration, les Achéens organisent une expédition contre Troie et les peuples d’Asie Mineure, ouvrant ainsi une période de troubles. La seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C. voit l’établissement de colons grecs, ce qui permet à l’Asie Mineure de contribuer à l’épanouissement de la civilisation hellénique. Parmi les colonies les plus importantes se trouvent les cités de Milet, de Smyrne (voir Izmir), d’Éphèse et de Phocée.
Éphèse (Turquie) La cité antique d'Éphèse était située en Asie Mineure, au bord de la mer Égée. Il demeure peu de vestiges du sanctuaire d'Artémis, érigé au VIIe siècle av. J.-C. En revanche, il subsiste des édifices (tels qu'un théâtre antique) de l'époque hellénistique et romaine. Autour de 700 av. J.-C., l’invasion des Cimmériens, peuple de nomades, entraîne la disparition du royaume phrygien. Après une période d’hégémonie lydienne, l’Anatolie est envahie à nouveau, par les Perses (Cyrus le Grand), en 546 av. J.-C. Elle connaît alors une période de stabilité et d’autonomie jusqu’à sa conquête, au IVe siècle av. J.-C., par Alexandre le Grand. L’Asie Mineure finit par revenir, au IIIe siècle av. J.-C., au royaume de Pergame qui la livre aux Romains. Ces derniers en font la province asiatique de leur empire. À partir du IVe siècle av. J.-C., elle partage le sort de l’Empire romain d’Orient ou Empire byzantin dont elle fait partie. Assiégé par les Perses, puis par les Arabes, l’Empire byzantin est envahi par les Turcs seldjoukides qui triomphent de ses armées, à la bataille de Manzikert (1071).
Les Turcs seldjoukides, sunnites installés en Asie centrale, entrent par le Sud-Ouest pour régénérer la foi des musulmans de vieille souche. Ils y établissent un grand empire qui comprend l’Iran, la Syrie et l’Asie Mineure, où ils créent le sultanat de Rüm (dont la capitale est Konya). Divisés par des querelles dynastiques, affaiblis par le maintien des structures tribales, les Seldjoukides ne peuvent résister à leurs ennemis, et seul le sultanat de Rüm demeure au VIIIe siècle. Prospère, le sultanat s’étend à cette époque sur presque toute l’Anatolie. Il est alors submergé par la vague des Mongols dirigés par Gengis Khan. Le sultanat passe sous l’autorité mongole, tandis que le reste de l’Anatolie s’émiette en plusieurs petites principautés turques ou turkmènes. De ces ruines émerge, en moins d’un siècle, la principauté des Osmanlis dont est issu l’Empire ottoman.
5.1 L’ascension des Ottomans
Au moment du déclin des Seldjoukides, la puissance locale de plusieurs tribus turques s’affirme en Anatolie. Ces tribus constituent des émirats autonomes et finissent par devenir indépendantes au XIIIe siècle. Le chef de l’une d’entre elles, Osman Ier, lutte contre les Byzantins et étend son domaine. Ohrhan, son fils (1326-1359), poursuit son œuvre. Les Byzantins lui facilitent la tâche, puisqu’en échange d’une aide militaire pour sauver son trône Jean VI Cantacuzène l’autorise à envahir les territoires de Thrace et de Macédoine. Il lui donne, en outre, sa fille en mariage. À la mort d’Ohrhan, les Osmanlis possèdent les deux rives des Dardanelles et sont implantés en Thrace. Leur capitale est Brousse.
La transformation de la principauté ottomane en un vaste empire englobant le sud-est de l’Europe, l’Anatolie et le monde arabe, est accomplie en trois grandes campagnes entre le XIVe et le XVIe siècle. Murat Ier est celui qui élargit de façon significative les territoires conquis en Europe. Il s’empare d’Andrinople, de la Macédoine, de la Thrace orientale et de la Bulgarie, profitant des rivalités entre Constantinople, Rome, Venise et Gênes. Aux côtés de ces conquêtes, son action est décisive dans la fondation de l’État ottoman. Il crée en effet une administration centralisée : le divan, dirigé par un grand vizir, sorte de chef du gouvernement. Il organise en outre une armée efficace autour d’un corps d’élite, les Janissaires.
Bayazid Ier poursuit son entreprise. Tout en étendant la puissance ottomane en Anatolie, il conquiert une partie de l’Europe balkanique et brise les tentatives de croisade et de reconquête chrétienne (croisade de Sigismond).
5.2 Défaite et rétablissement
Cependant, en 1402, les Mongols de Tamerlan, qui ont pris le contrôle de l’Iran et de l’Asie centrale, envahissent l’Anatolie et infligent aux Ottomans la défaite d’Ankara. Bayazid est capturé et meurt en prison. L’expansion musulmane est compromise pendant une vingtaine d’années environ. Le redressement ébauché sous Mehmet Ier, le plus jeune fils de Bayazid, se confirme sous le règne de son successeur, Murat II. Ce dernier poursuit l’œuvre de pacification intérieure et réaffirme la puissance ottomane en Europe en mettant par exemple en échec une nouvelle tentative de croisade chrétienne en 1444. Son administration se révèle efficace, et il fait d’Andrinople, sa capitale, un grand centre de rayonnement intellectuel.
Mehmet II (1451-1481) s’attache à élargir l’espace européen sous domination turque. En 1453, il prend la ville de Constantinople et, trois jours plus tard, la prière du vendredi est dite dans Sainte-Sophie transformée en mosquée.
Si Bayazid II (1481-1512) se préoccupe surtout de l’administration des nouvelles conquêtes, l’expansion reprend sous Selim Ier (1512-1520) en direction des pays d’islam : Anatolie orientale, Cilicie, Kurdistan, Syrie, Palestine et Égypte.
Soliman II le Magnifique, son fils, achève l’expansion ottomane en plaçant sous son autorité la quasi-totalité des pays arabo-musulmans. En Europe, il traverse le Danube pour conquérir la Hongrie et assiéger Vienne (1529).
L’Empire ottoman connaît son apogée sous le règne de Soliman II le Magnifique, et c’est à la même époque que les institutions administratives et gouvernementales qui évoluent depuis le XIVe siècle sont formalisées en une série de codes qui demeurent les bases de la loi ottomane jusqu’à la fin de l’Empire. Le sultan, souverain absolu, s’appuie pour gouverner sur un appareil administratif centralisé. Le gouvernement est dirigé par le grand vizir assisté de ministres également appelés vizirs. Ils ont à leur disposition un corps de fonctionnaires bien organisé, un soin particulier étant accordé à l’administration des finances. C’est en effet l’abondance du Trésor qui permet l’entretien d’une armée puissante assurant la protection de l’Empire et d’une marine, élément essentiel de l’hégémonie turque.
5.3 Le déclin de l’Empire ottoman
Le déclin de l’Empire ottoman débute à la fin du règne de Soliman II et se poursuit jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Les agressions extérieures et les carences intérieures, tant au niveau économique qu’au niveau politique, en sont la cause. La stagnation puis le recul de la domination ottomane entraînent la mainmise des puissances étrangères sur la politique de l’empire.
Les réactions officielles face à ce déclin se manifestent en diverses étapes : une réforme traditionnelle (1566-1807), période pendant laquelle on tente de rétablir les anciennes institutions, et une réforme moderne (1807-1918), pendant laquelle les anciennes méthodes sont abandonnées au profit de nouvelles, importées d’Occident.
À la mort de Soliman II, la situation intérieure de l’empire commence à se dégrader. Jusqu’au milieu du XVIe siècle, les sultans contrôlent et utilisent la vieille aristocratie turque et les chrétiens devshirmes convertis, ainsi que leurs descendants, en maintenant soigneusement les divisions entre ces deux groupes. Sous le règne de Soliman cependant, le devshirme obtient le contrôle de la classe dirigeante, chasse l’aristocratie du pouvoir, puis commence d’exploiter l’État pour ses propres intérêts.
Dans le même temps, l’Empire souffre de surpopulation, résultat de la paix et de la sécurité qui ont été établies. Le taux de natalité extrêmement fort entraîne un chômage à la fois urbain et rural dû à la faible disponibilité de terres et aux politiques économiques très restrictives imposées par les guildes urbaines. Sans travail, les masses constituent des bandes de pillards qui infestent les villes et les villages. L’incompétence, la malhonnêteté et l’inefficacité du gouvernement ont pour conséquence la fin des cultures des terres, et l’Empire souffre de famines et de maladies endémiques, si bien que des districts entiers, quelquefois des provinces, tombent aux mains de notables provinciaux. Les vizirs changent trop fréquemment, les sultanes mères du Harem fomentent des complots de palais, désireuses d’intervenir dans la politique, et les militaires se révoltent.
Pendant ce temps, l’Europe développe des nations-États beaucoup plus puissantes que celles qui ont dû faire face à l’Empire ottoman au cours des siècles précédents. La réaction ottomane face au déclin est modérée pour plusieurs raisons : tout d’abord, l’Europe est tellement occupée par ses propres problèmes que pendant un siècle elle n’est pas au courant de la situation ottomane et ne fait aucun effort pour tenter d’en tirer profit. Ensuite, la plupart des membres de la classe dirigeante profitent du chaos ambiant pour leur bénéfice personnel. Enfin, les Ottomans, dans leur isolement, ignorent tout des changements qui ont rendu l’Europe beaucoup plus puissante et pensent que le monde islamique est beaucoup plus en avance que l’Europe chrétienne. Dans ces conditions, la classe dirigeante ne voit pas le besoin de changements ni de réformes. Après un certain temps cependant, l’Europe commence à se rendre compte de la détérioration interne ottomane et en profite. En 1571, la flotte de la Sainte Ligue, conduite par don Juan d’Autriche, avance vers l’est de la Méditerranée et détruit la flotte ottomane lors de la bataille de Lépante. Cette victoire est contrée par la construction d’une flotte entièrement neuve qui permet aux Ottomans de reprendre le contrôle de la Méditerranée pendant plus de cinquante ans. Cependant, l’idée selon laquelle les Ottomans ne sont pas invincibles commence de se répandre en Europe. Une guerre contre l’Autriche s’ensuit (1593-1606), à l’issue de laquelle le sultan est forcé de reconnaître l’empereur comme son égal et d’abandonner l’imposition des paiements annuels d’un tribut autrichien, ce qui ouvre encore davantage les yeux de l’Europe sur le déclin ottoman.
Ce n’est que lorsque les attaques étrangères puissantes menacent l’Empire, dont dépendent ses privilèges et sa richesse, que les dirigeants turcs acceptent certaines réformes. En 1623, le Shah Abbas Ier d’Iran conquiert Bagdad et l’est de l’Irak, activant une série de révoltes turques dans l’est de l’Anatolie. La réaction du sultan Murat IV est de rétablir le conservatisme et l’efficacité dans les rangs de la classe dirigeante et dans l’armée. En exécutant impitoyablement des centaines de personnes coupables de violations de la loi et de la tradition islamique, il commence ce qu’on a appelé les Réformes traditionnelles, qui permettent à l’armée ottomane d’expulser les Iraniens hors d’Irak et de conquérir le Caucase (1638). Le successeur de Murat, cependant, laisse le déclin se réinstaller. Une guerre contre Venise, dont l’apogée est l’attaque de la flotte vénitienne sur les Dardanelles, précipite l’ascension de la dynastie des grands vizirs Köprülü, qui mettent en œuvre les mêmes méthodes que Murat IV, pour redonner à l’Empire un éclat momentané. Stimulé par ses bons résultats, le dernier grand vizir Köprülü, Mustafa II, tente de conquérir à nouveau Vienne en 1683. Mais après un siège de courte durée, l’armée ottomane s’effondre complètement, permettant ainsi à la nouvelle Sainte Ligue européenne de conquérir des régions entières de l’Empire. La Hongrie et la Transylvanie reviennent aux Habsbourg d’Autriche, la Dalmatie et le Péloponnèse ainsi que d’importantes îles de la mer Égée reviennent à Venise, la Podolie et le sud de l’Ukraine à la Pologne, et enfin Azov et les territoires au nord de la mer Noire reviennent à la Russie. Toutes ces pertes sont confirmées par le traité de Karlowitz (1699), premier traité défavorable signé par le sultan.
L’Empire ottoman a tout de même assez de force interne pour se remettre sur pied et corriger les pires abus et, d’autre part, grâce à l’adoption d’armes et de tactiques militaires européennes modernes, pour reconquérir certaines de ses pertes. En 1711, les Ottomans mettent en échec une campagne menée par le tsar Pierre Ier le Grand, le forçant à rendre les territoires perdus à Karlowitz. Mais par la suite, l’Empire n’enregistre que des revers. En 1768 et en 1792 éclatent en effet les deux guerres russo-turques au cours desquelles l’armée ottomane se désagrège, perdant d’importants territoires et laissant l’Empire au bord de l’effondrement total. C’est à cette époque que s’ouvre la question d’Orient, dans laquelle il devient l’enjeu d’une lutte entre la Grande-Bretagne, la Russie, la France et l’Autriche.
5.4 L’ère des réformes
Pour l’Empire ottoman le choix est simple : se réformer ou devenir un pays d’importance secondaire. Au XIXe siècle, Selim III choisit la voie de la réforme. Il tente une réorganisation militaire qui lui coûte le pouvoir, mais qui est finalement menée à bien par son successeur Mahmud II. Ce dernier fait en effet massacrer le corps des janissaires. En 1826, il constitue une nouvelle armée à l’européenne. Abdülmacid Ier (1839-1861) est plus audacieux encore, puisqu’il inaugure la période de réformes (1839-1876) appelée le Tanzimat (en turc, « réorganisation »), dont l’apogée se situe, toutefois, sous le règne d’Abdülhamid II (1876-1909). Ce mouvement de réformes modernise l’Empire ottoman en élargissant le rôle du gouvernement dans tous les aspects de la société. Une administration et une armée modernes sont créées selon des modèles occidentaux, reposant sur des bureaucraties très centralisées. On met en place un système d’enseignement et de justice laïques pour fournir du personnel à la nouvelle administration. De vastes programmes de travaux publics modernisent la structure physique de l’Empire, créant de nouvelles villes, des routes, des voies de chemin de fer et des lignes télégraphiques. De nouvelles méthodes agricoles contribuent également à la revitalisation ottomane. L’œuvre accomplie n’est cependant pas à la mesure des problèmes posés, d’autant plus que, parallèlement, les insurrections nationales se multiplient.
Les uns après les autres, les peuples non turcs de l’Empire luttent pour obtenir leur indépendance. La Grèce est le premier pays à l’obtenir en 1830. En 1840, Méhémet Ali est reconnu chef héréditaire de l’Égypte, qui passe ensuite sous le contrôle du Royaume-Uni (1882). La guerre de Crimée (1854-1855) et le traité de Paris le privent de la Moldavie et de la Valachie. En 1878, après une guerre contre les Russes, de nouvelles amputations territoriales interviennent (Afrique du Nord, Serbie). Les Arméniens, en revanche, sont victimes d’une tentative de suppression des minorités : environ un million d’entre eux sont massacrés entre 1894 et 1923 (le gouvernement turc rejette le terme de génocide, dans la mesure où il considère que ces morts ont été provoquées par la famine, la maladie et la guerre et ne résultent pas d’une action concertée et préméditée).
L’amoindrissement territorial et politique s’accompagne d’une pénétration économique et culturelle des grandes puissances européennes. Les États européens récemment industrialisés préfèrent conserver l’Empire ottoman comme source de matières premières et comme marché économique potentiel ; ils utilisent les traités de capitulation selon lesquels, depuis le XVIe siècle, les sultans les ont autorisés à vivre et à travailler dans l’Empire, selon les termes de leurs propres lois. Ils peuvent ainsi empêcher les Ottomans d’imposer des restrictions sur les importations et éviter qu’ils protègent leurs industries naissantes. En outre, l’Empire emprunte de telles sommes aux banques européennes que, dans les deux dernières années du Tanzimat, plus de la moitié de ses revenus est absorbée par le paiement des intérêts.
5.5 La fin de l’Empire
Conscient de son impuissance, le sultan Abdülhamid se réfugie dans le panislamisme. Un groupe d’intellectuels et de libéraux, connu sous le nom des Jeunes Turcs, refuse de voir sombrer le pays dans le despotisme et la dépendance. En 1908 éclate la Révolution des Jeunes Turcs, qui débouche sur le renversement du sultan l’année suivante. Mehmet V (1909-1918) est désigné comme son successeur. À partir de cette date, les sultans ottomans règnent sans toutefois gouverner.
Les Jeunes Turcs gouvernent avec beaucoup d’incohérence. Les premières années de cette nouvelle ère (1908-1918) sont les années les plus démocratiques de toute l’histoire ottomane. La Constitution et le Parlement sont rétablis, et des partis sont formés en vue d’élections. Le plus fort d’entre eux était le parti de l’Union et du Progrès. Les réformes, qui touchent tous les domaines de la société, connaissent leur apogée avec la laïcisation des écoles et des tribunaux musulmans et l’introduction des droits de la femme. Cependant, les Jeunes Turcs abandonnent rapidement leur programme libéral pour un panturquisme ultra-nationaliste. Tandis qu’à l’extérieur les humiliations s’accumulent (indépendance de la Bulgarie, pertes de la Bosnie, de la Tripolitaine, de la Macédoine et de l’Albanie), au niveau intérieur s’accentue la politique autoritaire du pouvoir, en particulier en 1913 sous le triumvirat Enver, Tal’at, Djamal.
En 1914, la Turquie entre en guerre aux côtés de la Triple Alliance. Les effets destructeurs des invasions étrangères sont aggravés par des révoltes internes, par la famine et la maladie. Environ 6 millions de personnes, c’est-à-dire un quart de la population, disparaissent et l’économie est totalement dévastée.
La défaite révèle une autre catastrophe : le gouvernement turc est placé sous l’autorité des pouvoirs d’occupation alliés dirigés par les Britanniques. En août 1920, la Turquie est contrainte de signer le traité de Sèvres qui consacre le démembrement puis le partage de l’Empire ottoman. Ce dernier perd toutes ses possessions européennes, sauf la région de Constantinople et toutes ses provinces du Proche-Orient. La région de Smyrne est cédée à la Grèce.
L’armée grecque prend Izmir (1922) et envahit le sud-ouest de l’Anatolie mais, à la suite des massacres perpétrés sur les populations turques, les Alliés décident de retirer leur soutien aux Grecs. En réaction contre l’accord de paix proposé et contre l’invasion grecque, le mouvement nationaliste turc émerge en Anatolie sous la direction de Mustafa Kemal Atatürk. Pendant la guerre d’indépendance turque (1918-1923), Atatürk parvient à résister aux exigences des Alliés, expulse les forces d’occupation grecques, britanniques, françaises et italiennes et impose un accord concrétisé par le traité de Lausanne (1923). Par ce nouveau traité, les régions turques de la Thrace et de l’Anatolie orientales sont autorisées à former leur propre État. Une République turque est proclamée et le gouvernement du sultan d’Istanbul cesse purement et simplement d’exister (1923).
5.6 La République turque
5.6.1 D’Atatürk au coup d’État militaire de 1960 Dirigée par Atatürk pendant quinze ans, la République turque est fondée sur six principes de base inscrits dans le texte de la Constitution : républicanisme (s’appuyant sur le principe de la souveraineté du peuple) ; nationalisme turc (mettant en exergue les gloires passées de la Turquie et la nécessité pour le peuple turc de construire son propre État selon des principes modernes et sans intervention étrangère) ; populisme (idée selon laquelle le peuple gouverne par l’intermédiaire de la Grande Assemblée nationale, toutes les catégories sociales étant représentées) ; laïcité (imposant une séparation complète entre l’autorité religieuse musulmane et l’État) ; étatisme (qui implique une intervention de l’État dans certains secteurs de l’économie et un contrôle plus souple sur les autres pour garantir une croissance économique rapide), et enfin révolutionnarisme (imposant que tous ces changements soient appliqués immédiatement et complètement afin que la société turque puisse se développer le plus vite possible). Les années Atatürk sont des années de progrès économique et de développement général considérables. Kemal, en revanche, réprime sévèrement les révoltes kurdes. En politique étrangère, il mène une action pacifique. La Turquie tisse ainsi des liens avec ses anciens territoires des Balkans mais, insistant sur la laïcité, évite de conclure des alliances avec ses voisins musulmans.
Atatürk est remplacé comme président par l’un de ses proches collaborateurs, Ismet Inönü qui poursuit sa politique intérieure. Ayant en mémoire la terrible expérience de la Première Guerre mondiale, Inönü déclare la neutralité de la Turquie pendant pratiquement toute la Seconde Guerre mondiale. C’est seulement en février 1945 que la Turquie déclare la guerre à l’Allemagne et au Japon. Après la guerre, l’Union soviétique tente de faire entrer la Turquie dans sa sphère d’influence, exigeant de prendre le contrôle des provinces de l’Est et des détroits. Refusant l’ingérence soviétique, la Turquie obtient le soutien du président des États-Unis, Truman, qui lui propose de devenir membre d’une alliance militaire et économique très étroite. En 1952, elle entre dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). À la même époque, Inönü démocratise le régime et autorise la formation de partis d’opposition. Cela conduit, en 1950, au triomphe du Parti démocrate, qui préconise un essor de l’entreprise privée et individuelle. Conduit par le président Celâl Bayar, par le Premier ministre Adnan Menderes et par le ministre des Affaires étrangères Fuat Köprülü, le Parti démocrate contrôle le gouvernement pendant dix ans (1950-1960). Le pouvoir devient dictatorial et le retour à l’islam est encouragé. Parallèlement, l’économie turque connaît une croissance rapide grâce au nouveau libéralisme économique et grâce à l’aide étrangère, principalement celle des États-Unis. Cependant, la forte croissance économique et la mauvaise gestion entraînent rapidement des tensions économiques et sociales. Le mécontentement politique grandit, exprimé par le Parti républicain du peuple, que le Parti démocrate commence à réprimer. En 1960, dans un contexte de crise financière, un coup d’État militaire renverse le gouvernement. Menderes et certains de ses associés, accusés de corruption, sont pendus en 1961. Cette même année est mise en place une nouvelle Constitution fondée sur des principes économiques et sociaux modernes, contenant des clauses interdisant le type de répression que les démocrates ont utilisé par le passé.
5.6.2 De la Constitution de 1961 au coup d’État militaire de 1980
Après l’adoption de la seconde Constitution en 1961, la Turquie est dirigée par une succession de gouvernements de plus en plus faibles. Les problèmes essentiels ne sont pas résolus. En 1970, de graves troubles éclatent dans les centres industriels, suivis d’un mouvement de contestation étudiant et lycéen. L’armée intervient pour mettre fin aux émeutes et aux violences en 1971. Elle impose un gouvernement dirigé par Nihat Erim qui doit démissionner en 1972. Les élections législatives de 1973 portent au pouvoir Bülent Ecevit, chef du Parti républicain du Peuple, aux idées sociales-démocrates, dont le gouvernement tombe en 1974. Les gouvernements suivants sont formés à partir de coalitions instables. Les dispositions de la Constitution de 1961 prévoient une représentation proportionnelle qui empêche tout parti d’obtenir une majorité nette, nécessaire au vote de lois effectives. Les coalitions sont dirigées tantôt par Ecevit, tantôt par Süleyman Demirel qui représente plus ou moins les anciennes traditions d’Atatürk. Les gouvernements se montrent incapables de mettre fin aux affrontements entre l’extrême gauche et l’extrême droite, ainsi qu’au terrorisme.
Lors de cette crise gouvernementale, la Turquie reste fidèle à son alliance avec l’Ouest, mettant des bases militaires à la disposition de l’OTAN et des forces américaines pour faire face à l’URSS. Cette alliance est soumise à des tensions considérables en 1974, date à laquelle la Turquie occupe le tiers septentrional de Chypre pour riposter contre un coup d’État fomenté par les Grecs qui font de l’île une république indépendante. À la suite de cette occupation, les États-Unis suspendent leur aide militaire et économique, et la Turquie riposte en fermant temporairement toutes les bases américaines du pays. Les troupes turques se maintiennent dans le nord de Chypre et la Turquie continue de prôner la création d’un gouvernement turco-chypriote séparé, défiant ainsi les États-Unis et les Nations unies. Les gouvernements européens des années 1990 entament des négociations à la fois avec la Grèce et avec la Turquie, afin d’inclure l’île divisée de Chypre au sein de l’Union européenne. Le Congrès américain rétablit l’aide au pays, ce qui encourage les Turcs à rouvrir les bases militaires, mais l’incident crée une suspicion à l’encontre de la présence américaine, encouragée et amplifiée par les groupes de gauche et mêlée de propagande communiste. Les groupes islamistes commencent également à s’opposer à la présence américaine ; ils préféreraient que la Turquie abandonne ses traditions laïques s’agissant de politique étrangère et qu’elle se rapproche des pays arabes musulmans qui profitent de leur nouvelle richesse liée au pétrole et du pouvoir politique que celle-ci a engendré.
Le gouvernement de Süleyman Demirel (1979-1980) décide de conserver l’alliance étroite de la Turquie avec l’Ouest dans l’espoir de développer le secteur privé de l’économie grâce à l’aide étrangère. Le Parti républicain du peuple réagit en prônant un contrôle socialiste des moyens de production de base et l’établissement de nouvelles alliances avec le tiers-monde et le bloc communiste. Les extrémistes de gauche comme de droite s’engagent dans un processus de violence.
Ainsi, le 12 septembre 1980, l’armée prend le pouvoir et suspend la Constitution. Les nouveaux dirigeants imposent la loi martiale, interdisent toute activité politique, censurent la presse et emprisonnent des milliers de gens soupçonnés de terrorisme. L’armée gouverne par l’intermédiaire du Conseil national de sécurité ; le chef du Conseil, le général Kenan Evren, devient chef de l’État et l’amiral Bülent Ulusu, Premier ministre.
5.6.3 De la Constitution de 1982 à la fin de la présidence de Demirel
Un grand pas en direction d’un gouvernement civil est fait en 1982, lorsqu’une nouvelle Constitution est votée, faisant d’Evren le président de la République. Les élections législatives de novembre 1983 voient la victoire inattendue du parti de la Mère Patrie (l’armée a donné son soutien à un groupe beaucoup plus à droite), et son leader, Turgut Özal, devient Premier ministre. En 1989, Özal est choisi comme président. Il doit, après l’échec de son parti aux élections législatives de 1991, confier le pouvoir à une coalition du parti de la Juste Voie de Süleyman Demirel, nommé Premier ministre, et du Parti populiste social-démocrate d’Erdal Inönü. Demirel, après la mort d’Özal en 1993, devient à son tour président de la République. Il confie le poste de Premier ministre à une économiste, Tansu Ciller, qui prend la tête du parti de la Juste Voie (DYP).
Confrontée à la crise économique, à la corruption et aux désaccords croissants au sommet de l’État, le Premier ministre Tansu Ciller est remplacée, à l’issue des élections législatives anticipées de décembre 1995, par Necmettin Erbakan du parti de la Prospérité (RP), parti islamiste. Il forme, avec le DYP, un gouvernement de coalition à tendance religieuse, pour la première fois dans l’histoire du pays. Partagé entre sa volonté de s’ouvrir au monde musulman et celle de respecter les accords militaires passés avec Israël, et malgré une gestion de centre droit et une politique mesurée en matière religieuse, Erbakan se heurte rapidement à l’hostilité des tenants de la laïcité, et en particulier de l’armée. Par l’entremise du Conseil national de sécurité (MGK, organe décisionnel, composé de militaires et de civils) leur permettant de conserver un contrôle sur l’État, les militaires engagent une épreuve de force avec Erbakan, lui imposant l’adoption d’un certain nombre de mesures dirigées contre les islamistes.
Sous la pression de l’armée et craignant un possible coup d’État, Erbakan démissionne en juin 1997 et Mezut Yilmaz, chef du parti de la Mère Patrie (ANAP), formation conservatrice de centre droit, le remplace à la tête d’une coalition comprenant également le parti de la Gauche démocratique (DSP) et le Parti démocratique de Turquie (DTP). L’offensive contre les islamistes se poursuit en 1998, avec la décision de la Cour constitutionnelle de dissoudre le parti de la Prospérité (remplacé par le parti de la Vertu, Fazilet), tandis que la Cour de sûreté de l’État engage des poursuites contre plusieurs de ses dirigeants, dont Erbakan. Privé de toute représentation officielle, le poids politique du mouvement islamiste n’en est pas moins important, d’autant plus que la situation économique est très difficile (inflation — près de 90 p. 100 par an —, déficit commercial et baisse du pouvoir d’achat — de 30 p. 100 en cinq ans).
Après la destitution par le Parlement du gouvernement de Mesut Yilmaz, à l'issue du vote d'une motion de censure pour « abus de pouvoir et liens occultes avec les milieux mafieux », Bülent Ecevit, chef du parti de la Gauche démocratique (DSP) forme un nouveau gouvernement en janvier 1999. Il est composé de membres de son parti, avec le soutien au Parlement de l’ANAP et du DYP. Au lendemain des élections législatives d’avril 1999, marquées par un vote ultra nationaliste, Bülent Ecevit est confirmé dans ses fonctions à la tête d’un gouvernement de coalition rassemblant son parti, l’ANAP et l’extrême droite nationaliste du Parti de l'Action nationaliste (MHP), conduit par Devlet Bahçeli, qui obtient le poste de vice-Premier ministre.
En mai 2000, Ahmed Necdet Sezer est élu président de la République en remplacement de Süleyman Demirel, auquel le Parlement a refusé d’accorder un second mandat. Partisan d’une plus grande liberté d’expression et favorable aux réformes, le nouveau président semble être celui de l’ouverture, tout en offrant de solides garanties aux militaires. Il déclare cependant la Constitution de 1982 illégale, car issue d’un coup d’État militaire.
L’année 1999 est également marquée par une série de catastrophes naturelles, de violents séismes dévastant une partie du pays. Le plus meurtrier a lieu en août, dans la région d’Izmit, au nord-ouest : 15 000 morts, des dizaines de milliers de victimes sous les décombres, de blessés et de sans-abri. En novembre, c’est la région de Duzce qui est touchée.
5.6.3.1 Le problème kurde
Sans participer militairement à l’opération, la Turquie soutient l’effort international pour expulser l’Irak du Koweït entre 1990 et 1991. Après la guerre du Golfe, à la suite d’un soulèvement manqué des Kurdes d’Irak, des centaines de réfugiés kurdes passent en Turquie. Une guerre officieuse sévit depuis 1984 entre le pouvoir turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), groupe marxiste dirigé par Abdullah Öcalan, qui tente d’obtenir l’autonomie pour les 15 millions de Kurdes du pays en recourant au terrorisme. En mars 1995, une vaste offensive contre les rebelles pénètre sur plus de 40 km dans les zones kurdes du nord-est de l’Irak protégées par les Nations unies. Malgré de nouvelles lois autorisant les nationalistes kurdes à réintégrer la politique et permettant la réouverture des écoles kurdes, la population kurde est victime d’atteintes aux droits de l’homme. Ce conflit, qui a fait plus de 30 000 victimes en quinze ans et déplacé plus de 2 millions de personnes, attise la tension politique et sociale qui règne dans le pays. En octobre 1998, la Syrie s’engage à ne plus fournir d'appui financier, militaire ou logistique au PKK sur son sol.
Arrêté à Rome en novembre 1998, pour meurtre et participation à une organisation terroriste, le chef du PKK, Abdullah Öcalan, fait l'objet d'une demande d'extradition de la part de la Turquie. Réfugié à l'ambassade de Grèce à Nairobi (Kenya), il y est finalement arrêté en février 1999 par les services secrets turcs. Accusé de trahison et d’atteinte à l’intégrité territoriale de la Turquie, Öcalan plaide coupable dès l’ouverture de son procès en mai 1999, qui a lieu dans l’île prison d’Imrali, en mer de Marmara. Pour une « solution démocratique dans le conflit du Kurdistan turc », il appelle ses troupes à l’abandon de la lutte armée. Il est condamné à mort en novembre 1999. Alors que l’application de la peine est suspendue, la Cour européenne des droits de l’homme ayant été saisie de l’affaire, le PKK déclare un cessez-le-feu en février 2000, tout en affirmant sa volonté de poursuivre le combat, pacifiquement, pour la reconnaissance de la culture kurde. Le régime lui, continue à refuser de prendre en compte le problème kurde.
5.6.3.2 Les droits de l’homme
Ahmed Necdet Sezer L'élection d'Ahmet Necdet Sezer à la présidence de la République turque, en mai 2000, est bien accueillie par les forces démocratiques du pays. Issu des hauts rangs de la justice — il a été président de la Cour suprême — Ahmet Necdet Sezer semble en effet favorable à une plus grande liberté d’expression et à la mise en œuvre de réformes visant à limiter le pouvoir de l'armée. La vie politique turque est marquée par la lenteur de son processus de démocratisation. Les victimes de la violence politique se comptent par milliers, et les gouvernements occidentaux dénoncent les atteintes aux droits de l’homme : disparitions et meurtres de Kurdes, harcèlement, intimidation et emprisonnement — voire torture — des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des avocats et des universitaires.
5.7 Les négociations avec l’Union européenne
En raison du différend qui oppose la Turquie et la Grèce au sujet de Chypre et d’îlots en mer Égée, dont les deux pays revendiquent la souveraineté, le gouvernement turc ne réussit pas à plaider avec succès son dossier auprès de l’Union européenne (UE), avec qui elle signe cependant un accord d’union douanière entré en vigueur en 1996. Non retenue en mars 1998 (première liste), la Turquie obtient le statut de pays candidat à l’intégration au cours du sommet d’Helsinki en décembre 1999. L’UE pose toutefois des conditions préalables : abolition de la peine de mort ; attribution de droits culturels aux Kurdes ; règlement du problème de Chypre et diminution du pouvoir du Conseil national de sécurité.
En février 2001, la crise politique qui oppose le président Necdet Ahmet Sezer et le Premier ministre Bülent Ecevit au sujet de la lutte contre la corruption — le premier reprochant au second son manque de combativité sur ce chapitre — entraîne une crise financière. Le gouvernement doit se résoudre à laisser flotter la livre turque ce qui laisse craindre une dévaluation et une hausse du taux d’inflation. Le cours de la monnaie turque était fixé depuis décembre 1999 par rapport au dollar et à l’euro dans le cadre d’un accord avec le FMI destiné à réduire l’inflation. La crise financière a pour conséquence une grave crise économique qui provoque la mise au chômage de plusieurs centaines de milliers de personnes en quelques semaines. De violentes manifestations ont lieu à Ankara, Izmir et Konya. De février à avril, la livre turque chute de moitié. Kemal Dervis, l’ancien vice-président de la Banque mondiale, est appelé à la tête du ministère de l’Économie au mois de mars. Il se prononce pour une restructuration complète de l’économie. Parallèlement, un conflit aux conséquences dramatiques commence en novembre 2000 lorsque le gouvernement lance une réforme des prisons. Alors que les prisonniers politiques sont regroupés dans des dortoirs d’une centaine de personnes, la réforme vise à les transférer dans des cellules isolées ou de deux ou trois personnes. Les prisonniers s’opposent à ce transfert, car ils se disent victimes de mauvais traitements lorsqu’ils sont isolés et se lancent dans un vaste mouvement de grève de la faim. Il réunit plus de quatre cents personnes, essentiellement des prisonniers d’extrême gauche mais aussi parfois des membres de leur famille. Les forces de l’ordre donnent l’assaut à vingt établissements au mois de décembre 2000, faisant trente-deux morts parmi les détenus tandis que fin avril 2001, le bilan des grévistes de la faim s’élève à dix-neuf morts. |
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