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5.5 Maturité culturelle et domination étrangère
La période des Cinq Dynasties s’achève en 960, lorsqu’un chef militaire, Zhao Kuangyin, s’empare du trône et proclame la dynastie Song (960-1279). En 978, les Song contrôlent la plus grande partie de la Chine, à l’exception des régions septentrionales détenues par les Mongols Khitans. On distingue généralement la période des Song du Nord (960-1127), dont la capitale est Kaifeng, de celle des Song du Sud (1127-1279), dont la capitale est Hangzhou, et pendant laquelle la dynastie ne contrôle plus que le sud du pays.
5.5.1 Les Song du Nord (960-1127)
5.5.1.1 La réorganisation
Les premiers empereurs Song redoutent une dispersion du pouvoir militaire aux frontières, responsable de l’affaiblissement des Tang. Ils limitent donc étroitement la puissance de l’armée dans les provinces et la subordonnent au pouvoir civil. Dès lors, ce sont les fonctionnaires qui dominent chaque aspect du gouvernement et de la société. Leur recrutement par concours, réapparu sous les Tang, est étendu pour fournir un flux constant de personnel compétent.
Les Song réorganisent le pouvoir impérial et renforcent la centralisation sur la capitale. La structure administrative locale est à peu près celle des Tang. La littérature, les arts (porcelaine fine et céladons notamment) et la philosophie continuent de se développer sur les voies tracées à la fin des Tang. L’enseignement fleurit, l’économie se développe et se diversifie. Mais la faiblesse militaire va se révéler une tare chronique.
5.5.1.2 Les Liao
À la suite de plusieurs défaites contre les Khitans de Pékin (dynastie Liao), les Song signent un traité en 1004, leur cédant ainsi à titre permanent la zone qu’ils occupent le long de la frontière nord, et fixant le paiement d’un tribut annuel. Après de longs combats contre les Xia, à la frontière nord-ouest du royaume, les Song obtiennent à nouveau la paix en échange du paiement d’un tribut en 1044.
Au milieu du XIe siècle, ils connaissent des difficultés budgétaires. La croissance démographique annihile celle de l’économie. De plus, les dépenses militaires liées à la défense des frontières septentrionales absorbent une grande part des recettes annuelles, tout comme les coûts administratifs d’une bureaucratie civile de plus en plus importante. Celle-ci, à mesure que la situation militaire et budgétaire se détériore, se déchire en luttes de factions proposant chacune des mesures différentes.
5.5.1.3 La tentative de réforme
En 1069, Wang Anshi, le principal conseiller du jeune empereur, élabore une série de changements radicaux destinés à accroître le revenu de l’État, à réduire les dépenses et à renforcer l’armée. Comprenant que les recettes sont, en définitive, liées à la prospérité du monde paysan soumis à l’impôt, il propose plusieurs mesures agraires, comme l’attribution de la même superficie agricole à chaque cultivateur, l’instauration de prêts pour aider les paysans lors des semailles et des récoltes, la suppression des corvées, l’établissement d’un impôt progressif sur la richesse, ou encore l’achat par l’État des surplus de denrées en vue d’une redistribution en période de famine. Plusieurs de ces réformes sont adoptées, mais rapidement abandonnées en raison de l’opposition des bureaucrates.
5.5.2 Les Song du Sud (1127-1279)
Poussés par leur faiblesse militaire et budgétaire, et pour mieux lutter contre les Liao, les Song s’allient, au début des années 1120, aux Jin (Kin ou Tsin, 1115-1234) de Mandchourie du Nord, dynastie née de l’unification des tribus Djurtchets. Après la défaite des Liao, les Jin se retournent contre les Song et envahissent la Chine du Nord, prenant la capitale Kaifeng en 1126. Les Song se replient et établissent leur capitale à Hangzhou, dans l’actuelle Zhejiang, en 1127.
Sous leur règne, le Sud continue à se développer rapidement. Son rayonnement intellectuel dépasse de loin celui du Nord. Les lettrés (wenren) ont une influence grandissante à la cour, sujette aux rivalités entre réformateurs et conservateurs. D’importantes découvertes ont lieu, comme la boussole, l’imprimerie à caractères mobiles ou la poudre à canon. Grâce à un rapide essor économique, l’État peut renforcer sa défense militaire. Le bouillonnement intellectuel de la Chine sous la dynastie des Song du Sud donne naissance à un nouveau système de pensée confucéenne, inspiré d’éléments taoïstes et bouddhistes, connu sous le nom de néoconfucianisme et dont le représentant le plus illustre est Zhu Xi. Cette nouvelle école est essentiellement centrée sur l’être humain, bien que ses emprunts aux doctrines métaphysiques du bouddhisme lui permettent de présenter une vision plus équilibrée et à long terme de l’Univers.
Malgré une bureaucratie pléthorique et une détérioration de l’administration, la Chine des Song du Sud ne montre aucun signe d’effondrement intérieur. La dynastie ne finit par tomber que sous les assauts répétés d’une armée mongole nettement supérieure en nombre et après des années de combats.
En 1206, une assemblée de toutes les tribus mongoles se réunit à Karakorom, en Mongolie, pour confirmer la création de l’unité mongole sous l’autorité de Gengis Khan, l’« empereur suprême ». Les Mongols entament rapidement une série de conquêtes, qui aboutit à la formation du plus grand empire du monde de l’époque. En Chine, Gengis Khan s’empare d’abord de Pékin, la capitale des Jin, en 1215, avant de se rendre maître de tout le nord de la Chine après la reddition de Kaifeng (1233). La conquête du territoire des Song du Sud ne s’achève cependant qu’en 1279, avec le suicide du dernier empereur et la victoire de Kubilaï Khan, petit-fils de Gengis Khan, qui a succédé à ce dernier à la tête de l’Empire mongol.
5.5.3 La domination mongole et la dynastie des Yuan (1279-1368)
Kubilaï Khan transfère la capitale mongole de Karakorom à Pékin qu’il nomme Khanbalik (Cambaluc). En 1279, il fonde la dynastie des Yuan. Il dirige un immense empire qui s’étend de l’Europe orientale à la Corée, et du nord de la Sibérie à la bordure septentrionale de l’Inde. Il empruntent aux Song l’essentiel de leur système administratif, et ses successeurs l’imitent. Bouddhistes lamaïques, ils ne cherchent pourtant pas à se siniser.
Le règne de Kubilaï Khan constitue l’apogée du pouvoir mongol. Les communications sont considérablement améliorées et les routes commerciales de l’Asie centrale, entièrement sous contrôle mongol, plus sûres que jamais. Pour cette raison, les échanges entre l’est et l’ouest s’intensifient, notamment avec les missionnaires (franciscains) et les commerçants étrangers (Florence, Gênes, Venise), dans le domaine intellectuel, culturel que technique. Le plus connu des voyageurs européens est sans doute le négociant vénitien Marco Polo qui séjourne à Cambaluc (Pékin) et à la cour de Kubilaï Khan de 1275 à 1292. Dans le Livre des merveilles du monde, il dépeint de façon vivante la splendeur de l’Empire mongol.
Pendant ce temps, le mécontentement grandit dans le pays. Les Chinois soumis sont brimés par le pouvoir en place. La classe des mandarins lettrés s’irrite de l’interdiction faite aux Chinois de détenir des postes importants. L’inflation et une fiscalité écrasante alimentent la grogne des paysans. Les années 1330 et 1340 sont marquées par de mauvaises récoltes, la famine dans le Nord et des crues dévastatrices du Huang he. Au cours des années 1340, des soulèvements se produisent dans presque toutes les provinces. Durant les dix ans qui suivent, plusieurs chefs rebelles apparaissent. En 1357, le Sud échappe aux Mongols. Par la suite, un ancien moine bouddhiste, Zhu Yuanzhang, s’allie avec les nationalistes du « Turban rouge ». Il réussit à reconquérir tout le bassin du Yang-tseu-kiang, se proclame empereur sous le nom de Hongwu et fonde la dynastie des Ming. En 1371, alors que les chefs militaires mongols sont divisés par des rivalités internes, il s’attaque au nord de la Chine et prend Pékin. Les Mongols se replient sur leur base de Mongolie d’où ils continuent à harceler les Chinois. 5.6 Pouvoir impérial
Deux grandes dynasties dominent l’histoire de la Chine après la prise de pouvoir de Zhu Yuanzhang au XIVe siècle : la dynastie des Ming et la dynastie mandchoue des Qing.
5.6.1 La dynastie des Ming (1368-1644)
5.6.1.1 Des débuts prometteurs
Les Ming commencent par établir leur capitale à Nankin (Nanjing) et restaurent la civilisation chinoise des Tang et des Song. La puissance chinoise se réaffirme en Chine et dans toute l’Asie orientale. Un gouvernement civil est rétabli, la littérature encouragée, des écoles fondées et l’administration de la justice réformée. L’Empire est divisé en 15 provinces, dont la plupart portent encore leur nom initial.
Chaque province est supervisée par trois commissaires chargés respectivement des finances, des affaires militaires et de la justice. Le commissaire chargé des finances, qui dirige l’administration, est remplacé à la fin de la dynastie par un gouverneur.
Sous l’empereur Yongle (1403-1424), la Grande Muraille est consolidée et agrandie. Les tribus de Mongolie ayant été définitivement vaincues, la capitale de l’Empire est transférée en 1421 à Pékin, où commence la construction de la Cité interdite. Yongle rétablit également le système du tribut, par lequel les États non chinois d’Asie orientale reconnaissent la suprématie culturelle et morale de la Chine. Plusieurs expéditions navales, conduites par l’amiral et eunuque Zheng He, révèlent le pouvoir des Ming dans toute l’Asie du Sud-Est, dans les États indiens et jusqu’à Madagascar. Grâce au développement de l’irrigation, la famine recule, l’agriculture prospère et la population augmente. Vers 1600, la Chine compte près de 150 millions d’habitants.
5.6.1.2 Un long déclin
À partir du milieu du XVe siècle, le pouvoir des Ming décline. Les nomades des steppes s’attaquent aux provinces du Nord. La compétence des dirigeants se dégrade. Les eunuques commencent à exercer une grande influence sur l’empereur, provoquant mécontentement et luttes de factions à la Cour. Sous le règne de Wanli, les tensions opposant les eunuques aux fonctionnaires débouchent sur de graves troubles politiques. L’influence des eunuques se renforce et s’étend à tous les domaines de l’État (police, finances, gouvernement).
Parallèlement, des relations maritimes s’établissent avec le monde occidental. Arrivés les premiers en 1514, les Portugais installent un comptoir commercial à Macao en 1557. Après 1570, le commerce se développe entre la Chine et les colonies espagnoles des Philippines.
En 1619, les Hollandais s’installent à Taïwan et prennent possession des îles Pescadores (Penghu). Des missionnaires jésuites - dont Matteo Ricci - arrivés d’Europe dans la seconde moitié du XVIe siècle, répandent les connaissances occidentales et le christianisme. Leur sagesse et leur culture leur valent rapidement une position respectée à la cour des Ming. Toutefois, ils ne réussissent pas à implanter durablement le christianisme ni la pensée scientifique occidentale.
5.6.1.3 Une fin précipitée
Vers la fin du XVIe siècle, le trésor impérial a été épuisé par le coût de la lutte contre les incursions répétées des Mongols et les raids des pirates japonais, les Wokou, qui ravagent la côte sud-est pendant tout le XVIe siècle. Une campagne de sept ans contre les troupes japonaises débarquées en Corée, en 1592, laisse les finances de l’État exsangues.
La chute des Ming est provoquée par une rébellion née dans la province du Shaanxi, confrontée à la famine et au chômage. La révolte est conduite par Li Zicheng, un ancien berger, qui parvient à prendre Pékin en 1644, avec une armée de 300 000 hommes, les troupes de l’Empire étant alors déployées sur la Grande Muraille. Le dernier empereur de la dynastie Ming se suicide. Le chef des armées Ming, le général Wu Sangui, fait alors appel aux Mandchous, tribus apparentées aux Jürchets, pour l’aider à chasser les rebelles de la capitale. Mais, une fois leur mission achevée, les Mandchous refusent de quitter Pékin et fondent une nouvelle dynastie, la dynastie Qing. Réfugiés en Chine méridionale, les derniers Ming tentent, sans succès, de rétablir leur régime.
5.6.2 La dynastie mandchoue des Qing (1644-1912)
C’est sous la dynastie mandchoue que le pouvoir de l’Empire chinois connaît l’apogée de ses deux mille ans d’histoire, jusqu’à son effondrement, au début du XXe siècle, imputable à la fois à une décadence intérieure et aux pressions extérieures exercées par l’Occident.
5.6.2.1 Les changements
Maîtres de la Chine, les Mandchous cherchent à se siniser, tout en brimant les Chinois, contraints, par exemple, à porter la natte, signe de leur soumission.
L’organisation politique est largement fondée sur celle des Ming, bien que plus centralisée. L’administration centrale dépend d’un nouvel organe gouvernemental, le Grand Conseil, qui traite les affaires militaires et politiques de l’État, sous les ordres directs de l’empereur. À Pékin, un Chinois et un Mandchou gèrent chaque direction administrative. La bureaucratie traditionnelle et le système des examens impériaux, reposant en grande partie sur la connaissance des classiques confucéens, sont maintenus.
À la fin du XVIIe siècle, les Qing éliminent toute opposition favorable au retour des Ming. Ils écrasent dans la foulée une rébellion lancée par des généraux chinois qui, en échange de leur soutien, ont reçu des domaines semi-autonomes dans le sud.
5.6.2.2 Des lumières à la pénombre
Le XVIIIe siècle est une période de paix et de prospérité sans précédent. L’ordre intérieur règne dans tout l’Empire. La dynastie atteint son apogée sous Kangxi (1662-1722), et surtout sous Qianlong (1736-1796). Les Chinois sont mieux traités. La Chine établit une solide influence sur la Mandchourie, la Mongolie, le Xinjiang et le Tibet. Le Népal subit à son tour le joug chinois. La Birmanie doit payer un tribut, tout comme les îles Ryukyu. La Corée et le nord du Viêt Nam reconnaissent la suzeraineté de la Chine, tandis que Taïwan est incorporée à l’Empire. La population connaît une forte croissance démographique (313 millions d’habitants en 1794), que ne parvient pas à suivre la production.
À la fin du règne de Qianlong, la situation des paysans s’aggrave, tandis que les ressources financières du gouvernement sont rognées par la politique d’expansion territoriale et la corruption croissante des fonctionnaires. Les troupes mandchoues, en garnison dans toute la Chine, contribuent à ruiner l’économie, et se montrent peu aptes à assurer une défense efficace après des générations de paix.
À la fin du XVIIIe siècle, les Mandchous restent réticents au développement des relations commerciales. Le commerce avec l’étranger est alors confiné au port de Canton, et les négociants sont contraints de passer par l’intermédiaire d’un nombre limité de commerçants chinois, groupés en associations, les Cohong (gonghang). Les nations les plus présentes sont alors le Royaume-Uni (de loin la plus importante), la France et les États-Unis. Au départ, les échanges favorisent l’économie de la Chine, car la Grande-Bretagne achète du thé et paie en métal-argent. Au cours des années 1780, les marchands britanniques développent le commerce de l’opium indien en Chine, alors que ce produit est prohibé depuis 1731. En 1800, ce marché s’étant largement développé, les échanges commerciaux deviennent excédentaires pour la Grande-Bretagne. L’hémorragie de métal-argent chinois, provoquée par le commerce florissant de l’opium, aggrave les difficultés budgétaires que connaît déjà le gouvernement des Qing.
5.6.2.3 La pression étrangère
Le XIXe siècle est marqué par une détérioration rapide du système impérial et par un accroissement de la pression occidentale, puis japonaise. Les relations commerciales entre la Chine et la Grande-Bretagne s’enveniment. Les Britanniques cherchent à tout prix à étendre leurs échanges au-delà de Canton et des limites imposées par la Chine. Pour parvenir à leurs fins, ils tentent d’établir avec les autorités chinoises des relations diplomatiques similaires à celles qu’ils entretenaient avec les États occidentaux. Mais la Chine, qui vit depuis longtemps en autarcie économique, n’est guère intéressée par le développement de ses échanges commerciaux. Par ailleurs, les Chinois souhaitent mettre fin aux importations illégales d’opium par les négociants britanniques, qui ruinent les bases fiscales et morales de l’Empire et creusent le déficit extérieur du pays. En 1839, des fonctionnaires confisquent et détruisent de grandes quantités d’opium saisies sur des bateaux mouillant à Canton. La Grande-Bretagne, refusant de mettre un terme à ce négoce lucratif, déclenche les hostilités à la fin de 1839 avec l’envoi d’un corps expéditionnaire : c’est la guerre de l’opium.
5.6.2.4 Guerres commerciales et traités inégaux
La Chine subit une défaite sévère. Sa faiblesse militaire, imputable pour partie au ressentiment des Han à l’encontre des Mandchous, éclate au grand jour. La première guerre de l’Opium s’achève en 1842 avec la signature du traité de Nankin qui offre à la Grande-Bretagne tous les privilèges commerciaux qu’elle recherche. Au cours des deux années suivantes, la France et les États-Unis obtiennent des concessions identiques. Mais les puissances occidentales en trouvent rapidement les clauses insuffisantes. La Grande-Bretagne, alliée à la France, ne tarde pas à trouver l’occasion de reprendre les hostilités.
Au cours de la seconde guerre de l’Opium (1856-1860), leurs armées menacent le nord de la Chine. De nouveaux traités signés à T’ien-tsin (Tianjin), en 1858, accroissent les avantages commerciaux consentis aux Occidentaux. Mais lorsque Pékin refuse de les ratifier, le conflit reprend. En 1860, un corps expéditionnaire franco-britannique, sous le commandement de lord Algin et du général Cousin-Montauban, entre dans Pékin. Le palais d’Été (Yuanmingyuan) est incendié, en représailles contre les atrocités commises à l’égard de prisonniers occidentaux. La Chine signe alors les conventions de Pékin et ratifie les clauses des traités de T’ien-tsin.
Ces traités, que les Chinois appellent « traités inégaux », régissent les relations de la Chine avec l’Occident jusqu’en 1943. Ils modifient le cours du développement social et économique du pays et jettent le discrédit sur la dynastie mandchoue. Les ports chinois sont ouverts au commerce et aux résidents étrangers, et Hong Kong est cédée à titre permanent à la Grande-Bretagne avec la presqu’île attenante de Kowloon. Les ressortissants des nations signataires bénéficient de l’extraterritorialité, qui leur permet d’être jugés par leurs propres magistrats ou dans leurs consulats, selon les lois de leur pays. Ces traités comportent en outre la clause de la nation la plus favorisée, par laquelle tout privilège accordé par la Chine à une nation est automatiquement étendu à tous les autres pays signataires. L’économie chinoise tout entière se retrouve bientôt contrôlée par un réseau d’exploitation économique étranger. Les droits de douane sur les produits importés en Chine sont plafonnés à 5 p. 100, afin d’empêcher l’imposition arbitraire de droits excessifs. Cette mesure empêche la Chine d’établir des taxes d’importation suffisamment élevées pour protéger son industrie et permettre une modernisation de son économie.
5.6.2.5 La révolte Taiping
Au cours des années 1850, les fondations de l’Empire sont ébranlées par le mouvement révolutionnaire Taiping (1851-1864), soulèvement populaire d’origine religieuse, sociale et économique. Son chef, Hong Xiuquan, qui a échoué aux examens impériaux, puis étudié le christianisme auprès d’un missionnaire protestant américain, se considère comme le second fils de Dieu, et donc le frère de Jésus-Christ, chargé de la mission divine de débarrasser la Chine de la domination mandchoue et de fonder une dynastie chrétienne reposant sur un partage équitable des richesses et sur l’égalité des sexes. En 1847, il fonde l’Association des adorateurs de Dieu et réunit de nombreux partisans, souvent pauvres, hostiles aux Mandchous.
La rébellion éclate dans la province de Guangxi en 1851. En 1853, le mouvement progresse vers le nord et Hong Xiuquan établit sa capitale à Nankin où il crée le « Royaume céleste de la Grande Paix » (Taiping Tianguo). Malgré leur échec aux portes de Pékin, les Taiping sont, en 1860, solidement retranchés dans le bassin du Yang-tseu-kiang et menacent Shanghai.
Le pouvoir mandchou, contraint à entretenir des relations avec des Occidentaux plus puissants et ravagé par un soulèvement intérieur d’une dimension sans précédent, comprend que l’Empire ne peut survivre qu’au prix d’un changement de politique. Sous le règne de l’impératrice douairière Cixi (Tseu-hi), entre 1861 et 1895, les Mandchous tentent de restaurer le gouvernement confucéen « bienveillant » des beaux jours de la dynastie, de résoudre les problèmes intérieurs sociaux et économiques, et d’adopter la technologie occidentale de manière à renforcer le pouvoir de l’État. Incapables de diriger eux-mêmes de tels programmes, ils s’adressent aux dirigeants chinois des différentes provinces. Investis par le pouvoir impérial d’une autorité financière, administrative et militaire inégalée, certains d’entre eux accomplissent leur mission avec un succès remarquable.
Entre 1860 et 1880, en grande partie grâce aux efforts des gouverneurs Zeng Guofan, Li Hongzhang et Zuo Zongtang, tous les soulèvements importants sont matés : les Taiping (1864), les Nian (1868), les Miaos (1872) et les Hui (1878). Ces guerres font entre 20 à 30 millions de morts. Cependant, la paix est restaurée, des arsenaux et des chantiers navals sont créés, et plusieurs mines ouvertes. Mais les objectifs de préserver un gouvernement confucéen et de développer une puissance militaire moderne sont incompatibles. La direction du programme de modernisation est confiée à la seule élite disponible, la bureaucratie néoconfucéenne lauréate des examens impériaux, mal équipée ou peu motivée pour mettre en œuvre les mesures nécessaires au renforcement du pouvoir de l’État. Si bien que les efforts tentés par la Chine pour accroître sa puissance entre 1860 et 1895 n’aboutissent pas.
5.6.2.6 Les zones d’influence étrangère
Les puissances occidentales tentent tout d’abord de consolider les avantages commerciaux acquis par les « traités inégaux » plutôt que de rechercher des privilèges supplémentaires. Mais, en 1875, elles commencent, avec le Japon, à s’attaquer au protectorat chinois sur l’Asie du Sud-Est. Après 1875, les îles Ryukyu sont placées sous la domination japonaise. La guerre, qui oppose la France à la Chine en 1884 et 1885, fait entrer le Viêt Nam dans l’Empire colonial français. L’année suivante, la Grande-Bretagne annexe la Birmanie. En 1860, la Russie obtient les provinces du nord de la Mandchourie. En 1894, les tentatives japonaises pour soustraire la Corée à la suzeraineté chinoise aboutissent à la guerre sino-japonaise. La Chine subit une défaite décisive en 1895. Par le traité de Shimonoseki, elle reconnaît l’indépendance de la Corée, désormais sous influence japonaise, paie une indemnité de guerre considérable et cède au Japon l’île de Taïwan et la péninsule du Liaodong, au sud de la Mandchourie.
La Russie, la France et l’Allemagne réagissent immédiatement à la cession du Liaodong, qu’elles considèrent comme une mainmise du Japon sur l’une des régions les plus riches de la Chine. Elles interviennent pour que le Japon rétrocède cette région en échange d’une indemnité supplémentaire. Le Japon ayant accepté, les puissances européennes acculent la Chine à de nouvelles concessions.
5.6.2.7 L’Empire démantelé
En 1898, incapable de résister aux pressions occidentales, la Chine est morcelée en zones d’influence étrangère. La Russie obtient une concession pour la construction d’une ligne de chemin de fer transsibérienne reliant Moscou à Vladivostok, en passant par la Mandchourie, ainsi qu’un chemin de fer sud-mandchou jusqu’à l’extrémité de la péninsule du Liaodong. Elle possède également des droits économiques exclusifs sur toute la Mandchourie. D’autres droits exclusifs sur le développement des chemins de fer et des mines sont accordés à l’Allemagne (Shandong), à la France (provinces frontalières du Sud), à la Grande-Bretagne (provinces riveraines du Yang-tseu-kiang) et au Japon (côte sud-orientale). Les États-Unis, qui cherchent à préserver leurs acquis sans entrer dans des rivalités territoriales, lancent la politique de la Porte ouverte (1899-1900) qui obtient l’assentiment des autres puissances étrangères. Selon cette politique, les privilèges obtenus en Chine par un pays ne doivent pas remettre en cause la clause de la nation la plus favorisée. Les États-Unis entreprennent également de garantir l’intégrité territoriale et administrative de la Chine, même si, jusqu’en 1941, ils se montrent réticents à utiliser la force pour faire respecter cette garantie.
5.6.2.8 Les mouvements de réforme et la révolte des Boxers
Guerre des Boxers (Chine) Après la défaite de l'insurrection nationaliste des Boxers (1898-1900), qui assiégèrent les légations étrangères à Pékin pendant près de deux mois, les soldats du corps expéditionnaire international défilent dans la capitale chinoise. En 1898, un groupe de réformateurs éclairés réussit à se faire écouter du jeune empereur Guangxu. Durant l’été, en réaction à la création de nouvelles zones d’influence, ils mettent en place un programme de réformes radicales destiné à transformer la Chine en une monarchie constitutionnelle et à moderniser l’économie et le système éducatif. Mais ce programme se heurte au pouvoir des dignitaires mandchous, traditionalistes et anti-occidentaux, que l’impératrice Cixi a placés à la tête du gouvernement avant de se retirer. Celle-ci, avec la complicité de Yuan Shikai, fait séquestrer l’empereur, reprend les rênes du pouvoir et, avec l’aide de chefs militaires loyaux, met fin au mouvement réformateur. Le pays est alors balayé par une puissante vague de réaction nationaliste, qui atteint son paroxysme en 1900 avec la révolte des Boxers. Bien qu’officiellement dénoncée par le pouvoir chinois, cette société secrète bénéficie en réalité du soutien de Cixi et de nombreux dignitaires mandchous. Les Boxers assiègent les légations étrangères à Pékin pendant près de deux mois (18 juin-14 août 1900), jusqu’à l’intervention des détachements militaires envoyés par les différentes puissances étrangères. Le protocole de Pékin (17 septembre 1901) achève de placer la Chine sous tutelle occidentale. Les Chinois sont contraints de verser d’importantes indemnités, échelonnées sur une période de quarante ans, et d’accorder de nouvelles concessions commerciales aux nations occidentales. Le gouvernement mandchou comprend alors la futilité de sa politique réactionnaire. En 1902, le pouvoir adopte son propre programme de réformes et élabore un projet de régime constitutionnel sur le modèle japonais. En 1905, l’ancien système des examens impériaux est abandonné. La Russie profite de la révolte des Boxers pour étendre son influence sur toute la Mandchourie. Cette ingérence est à l’origine de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, à l’issue de laquelle la quasi-totalité du chemin de fer sud-mandchou et des privilèges russes en Mandchourie reviennent au Japon. |
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